Les pots mesure dits "pots d'archer"

 

     En page 213 de l’ouvrage « Fermes de Pévèle » est une photo d’un pot mesure d’un demi-litre, en faïence de grand feu, qui comporte la mention « Snÿ au Bosquet ». De fait, il faut en connaître la signification pour pouvoir la déchiffrer correctement, la calligraphie de l’époque pouvant prêter à confusion. « Snÿ » est l’abréviation de Sinceny, commune de l’Aisne, et « au Bosquet » est un lieu-dit de cette commune. Le tout est la marque d’une fabrique de faïence qui a été établie en 1825 au Bosquet-lès-Sinceny par André François Lecomte. Le Bosquet-lès-Sinceny fait partie de la commune de Sinceny jusqu’en 1836 puis devient la commune d’Autreville. Cette fabrique poursuivra son activité jusqu’en 1887, elle est une émanation de la grande fabrique de Sinceny fondée en 1737 par le seigneur du lieu, Jean-Baptiste Fayard, et elle sera la dernière fabrique en activité dans la région de Sinceny.

 

    Notre pot mesure a été fabriqué entre 1825 et 1835, date à laquelle Monsieur Lecomte s’associe avec Alfred Dantier. A compter de 1835, la marque de la fabrique devient « L&D » pour Lecomte et Dantier. Voici donc une datation assez précise (une décennie) qui est par ailleurs compatible avec la date figurant sur le bâtiment dans lequel se trouvait l’estaminet de la ferme Legrand à Brillon : 1811. Ce pot mesure a été trouvé dans le jardin de cette ferme accompagné de nombreux tessons de chopes et de pots mesure. Notons que la chope est un pot à boire qui a priori ne comporte pas de bec verseur au contraire des pots mesure qui en général en sont pourvus. En curant un canal dans la région de Laon on a également trouvé en face d’un estaminet un important dépôt de ces objets ce qui confirme le lien entre ces pots et les débits de boisson.

 

   Outre la contenance (1/4 litre, ½ litre, litre, double litre) et la marque de fabrique, on trouve souvent sur ces pots un numéro (N° 1, N° 2 …). Les concours de tir à l’arc (ou à l’arbalète) étaient très prisés au XIXe siècle en Picardie. Ces différents numéros ont souvent été interprétés comme le classement du concours et donc ces pots comme prix de concours de tir à l’arc, d’où la dénomination de « pots d’archer ». Cette hypothèse nous semble erronée cependant, d’autant que la numérotation comprend parfois plusieurs dizaines (N° 64 par exemple). Il semble plus raisonnable de considérer ce numéro comme une manière de retrouver son pot/sa chope dans une vaste assemblée comme on peut en trouver dans un estaminet, une fête locale, un concours ou une grande ferme employant de nombreux journaliers.

 

   Dans l’ouvrage du Docteur Warmont publié en 1864 « Recherches historiques sur les faïences de Sinceny, Rouy et Ognes », page 43, l’auteur évoque les « mesures de cabaretiers de la fabrication de Monsieur Lecomte ». Cette référence est reprise dans l’ouvrage de Messieurs Jules et Georges Lecocq, page 66, en 1877. Il s’agit donc bien de pots mesure de cabaret et non de prix de concours de tir à l’arc. Ces mentions sont d’autant plus pertinentes qu’elles sont contemporaines des fabrications du Bosquet- lès- Sinceny/Autreville. 

 

    Dans le catalogue de l’exposition de Laon en 1997 figure en page 71 sous le numéro 100 un pot mesure marqué « Sinceny » et portant le N° 7 (Musée de la céramique de Sèvres). En effet on trouve sur les pots mesure les marques d’autres fabriques de la région : « Sinceny », « Lepage », « Mandois » ou « Rouy » mais aussi les marques des différents propriétaires de la fabrique du Bosquet-lès-Sinceny/Autreville : « R&R » pour Röhr et Raison, « LR » pour Léopold Röhr puis « FC » pour Fourmaintraux - Courquin. En 1882 la fabrique est vendue à un faïencier de Desvres, François Fourmaintraux - Courquin, et 1887 voit la fin de l’activité faïencière dans cette région.  

   

   De nombreuses autres fabriques ont produit des pots mesure jusqu’au début du 20ème siècle (Vron, Bruxelles, Beauvais, Onnaing …) mais ceux de Sinceny sont particulièrement nombreux et facilement identifiables du fait des marques de fabrique. Les décors de Sinceny sur ces pièces se résument en général à quelques filets en bleu et manganèse, quelques marques à l’éponge sur le côté de manière à figurer l’échelle de mesure et éventuellement quelques petits motifs d’inspiration florale sur le dessus de l’anse.

   Plus rarement on trouve l’ébauche d’un cartouche, d’un écusson, un quadrillage, des fleurettes … D’autres fabriques ont produit des décors élaborés (personnages …) comme à Bruxelles par exemple où on trouve aussi couramment des pots dont l’émail est teinté en bleu ce qui est rarissime à Sinceny.

L’exemplaire de la ferme Legrand à Brillon, bien qu’incomplet, est tout à fait représentatif de la production de Sinceny à cette époque mais il comporte une marque relativement rare, apposée pendant 10 ans seulement et pas sur la totalité de la production. D’autant que ces pots utilitaires ont souffert de leur usage et ont souvent terminé leur existence dans les dépotoirs et les remblais. Un exemplaire de même provenance nous a été signalé dans un musée de Troyes, il s’agit d’un litre dont le décor est un peu plus élaboré et qui présente l’avantage d’être complet.

 

   Voici donc une petite histoire de ces objets d’usage et d’art populaire, souvent charmants dans leur rusticité, qu’il serait aisé de collectionner tant ils sont divers et relativement fréquents sur le marché.

 

Jean Couvreur.

Membre des « Amis de la faïence de Sinceny » et du « Groupe de Recherches et d’Etudes de la Céramique du Beauvaisis ».

 

 

 


Le petit ramoneur

   

       Un collectionneur qui surfait sur Internet à la recherche de belles faïences a eu l’œil attiré par une statuette représentant un petit ramoneur. On qualifie parfois ce personnage de « frileux » car il se tient les bras croisés comme s’il voulait se réchauffer les mains et son expression souvent triste vient renforcer cette impression de froidure. Mais le costume, et en particulier le foulard sous le chapeau à larges bords, ne laisse pas de doute, c’est bien d’un ramoneur qu’il s’agit.

 

 

       La hauteur de cette statuette est d’environ 16cm, les couleurs sont de grand feu : manganèse, rouge de Thiviers et bleu. L’émail est assez beau, satiné comme à Sinceny mais la cuisson, mal maîtrisée, a partiellement dénaturé les couleurs. Le modelage en est assez rustique comme on aurait pu le faire dans la deuxième moitié du 19ème siècle. Cependant l’attribution à Sinceny, et plus précisément à Autreville, est très probable. La suite de filets bleu, rouge et manganèse sur le tertre fait penser par exemple à ce que l’on trouve sur les pots à tabac au bateau d’Autreville. La couleur et le grain de la terre sont compatibles avec une attribution à Autreville bien que ces éléments ne soient pas une preuve en eux-mêmes.

    Notre collectionneur, amateur de ces curiosités, a lancé une recherche afin d’identifier d’éventuels autres exemplaires de cette statuette. Bingo ! Une autre de ces statuettes est passée en vente chez Mercier à Lille le 28 novembre 2017 sous le numéro 104. Il s’agit de la succession de Monsieur Jean Desplats, ancien antiquaire. L’objet est très proche en tous points sinon que le tertre comprend du vert à la place du bleu, dans une nuance très courante à Sinceny au 19ème siècle. La facture en est un peu meilleure et les couleurs sont plus belles.

         

    Nos indices semblent donc concorder. Il est temps d’aller voir ce qu’en disent nos auteurs. En page 42 de l’ouvrage du Docteur Warmont, publié en 1864, on trouve la mention suivante : « Il nous reste à dire un mot de quelques statuettes en terre cuite et en faïence émaillée qui ont été faites à cette époque à Sinceny. On connaît, en ce genre, une petite statuette de jardinière, une autre de ramoneur, qui est encore très répandue de nos jours, … ». Voilà qui vient à l’appui de notre attribution de ces statuettes à Sinceny ou à Autreville.

 

 

     A notre tour donc d’identifier de nouveaux sujets, peut-être cette petite jardinière citée par Warmont viendra-t-elle un jour compléter nos collections ?

      

                                                                                                                                              Jean COUVREUR


Une pièce unique?

    Voici donc un bénitier qu'un collectionneur averti avait détecté dans le catalogue d'une vente aux enchères sous la dénomination "faïence de Lunéville".

      Ce bénitier de forme rocaille produit en technique de petit feu ou feu de moufle représente un putto (l'Enfant Jésus ?) tenant la croix. Il était inconnu jusque-là et on n'en a pas trouvé d'autre exemplaire depuis. La technique employée peut faire penser à une production de l'Est de la France et donc pourquoi pas à Lunéville mais quand on y regarde de plus près, l'attribution à Sinceny est quasi certaine.

      Le visage de l'enfant qui porte la croix figure sur le décor d'autres faïences de petit feu de Sinceny, la palette de couleurs est caractéristique, la qualité du petit feu, plus faible à Sinceny, se retrouve ici avec un émail un peu grisâtre et des couleurs pas tout à fait abouties. Le style rocaille est encore en faveur lorsque la production de petit feu commence à Sinceny. La forme du godet est proche de celui qui figure sur un autre modèle de bénitier récemment identifié à Sinceny (ou Rouy). Le décor floral du godet est proche d'autres décors secondaires des faïences de petit feu de Sinceny, de même que la végétation du tertre sur lequel se trouve le personnage.             

       La production de petit feu de Sinceny n'a pas duré bien longtemps, 15 ans environ, ce bénitier serait-il une production unique ?

     C'est alors qu'il faut se référer à l'ouvrage du Docteur Warmont publié en 1864, pages 32 & 33: "sur les bénitiers rocaille de cette époque, l'Enfant Jésus portant la croix n'a pas une autre physionomie que les chinois qui fument leur pipe ou pèchent à la ligne au fond des assiettes".

           Voici que la boucle est bouclée, l'attribution de ce bénitier à Sinceny se confirme et il ne reste plus qu'à trouver d'autres exemplaires de cette production pour étoffer notre connaissance de la production de Sinceny dans le dernier quart du 18ème siècle.

                                                                                                                                                                             

                                                                                                                                                                             Jean COUVREUR


Paire d'assiettes patronymiques  Rouy 19ème siècle

  

        Gabriel Portelette est né le 7 août 1807. Marie-Rose Pinon est née le 24 juin 1807. Ils se sont mariés le 8 décembre 1830 et résident à Athies sous Laon. 

        Ces assiettes ne sont donc pas un cadeau de mariage car ils ont tous deux 25 ans en 1832, deux ans après leur mariage.

         Plusieurs hypothèses sont donc possibles : cadeau de naissance, d'anniversaire, d'anniversaire de mariage, ou bien une commande pour leur propre compte?

                                               

                                                                                                                                                                    Bernard VIOLETTE